Fête chrétienne, païenne, mercantile, ou des enfants... je vous propose de remonter aux origines de Noël, tellement célébré et pourtant si méconnu. Des origines multiples, une adaptation constante aux aléas de l’Histoire, voilà donc le conte de Noël. Les fantômes de Dickens nous amènent à la rencontre des Noëls passés et présent. Alors, prêts pour le voyage ?
Il était plusieurs fois Noël…
La nuit des temps
En effet, c’est une histoire qui remonte à la nuit… La grande, la longue, l’interminable nuit. Celle qui n’en finit plus, qui nous laisse dans la crainte de ne plus jamais revoir le jour. La nuit hivernale. Quand le soleil ne monte que pâlement au-dessus de l’horizon, pour repartir sans jamais avoir vraiment réchauffé la terre ni les vivants. Les mois sombres et froids de l’hiver. 21 décembre, le solstice. Le « sol »(lat.), soleil, « stare » à l’arrêt. Le jour le plus court de l’année, la nuit qui n’en finit plus. La grande peur de cette nuit qui envahit tout, qui paralyse la nature. Et les humains avec.
Le monde d’alors est rural, vit au rythme des saisons, et attend dans l’angoisse le retour de la lumière, du printemps, des travaux aux champs, des récoltes et des greniers qui se remplissent. La nuit hivernale, c’est la hantise de la famine et de la misère, c’est la mort qui rôde. Alors on se réunit, autour du feu. La lumière, la chaleur humaine, voilà déjà deux fondements, peut-être essentiels, qui caractérisent encore aujourd’hui le conte de Noël.
Rome : des Saturnales au Christianisme
La grande peur de l’interminable nuit vaut aussi pour les Romains. Mais, ils semblent vouloir lutter avec une approche plus… surprenante ! Du 17 au 24 décembre, se tiennent les Saturnales, hommage au dieu Saturne. Et par hommage, comprenez, le grand n’importe quoi. Pendant ces quelques journées, tout semble permis. La transgression des règles est de mise, l’inversion des rôles de rigueur. Les esclaves ont une liberté illusoire, la société dans son ensemble trouve là un exutoire. Si ces caractéristiques se retrouveront plus tard dans nos carnavals, les Saturnales, outre leur rapport au solstice d’hiver et au calendrier agraire, vont aussi contribuer à la construction du conte de Noël.
En effet, on y retrouve l’échange des cadeaux, ainsi que la mise à l’honneur de la végétation résistante à l’hiver : le houx et le gui, le sapin. On célèbre alors « sol invictus », le soleil invaincu. Jusqu’à ce qu’au IV° siècle, l’empereur Constantin passe un bon coup de peinture chrétienne sur ces traditions païennes. Le 25 décembre, Noël est né. La Bible désigne ce jour, soit 9 mois exactement après le 25 mars. Les pères de l’église font donc correspondre l’Annonciation (l’archange Gabriel qui annonce à Marie qu’elle enfantera le fils de Dieu) avec l’arrivée du printemps. Vous suivez la symbolique ? Le messie est en route avec le réveil de la nature. Et sa naissance annonce le rallongement des jours, le retour de la lumière. Et voilà comment pour les chrétiens, le solstice d’hiver, la grande nuit, devient Noël, la Nativité, promesse de temps meilleurs…
Moyen-âge et St Nicolas
L’Europe médiévale célèbre toujours Noël comme une fête religieuse, dans laquelle survivent les rites païens des Saturnales. En gros, c’est Noël et Carnaval en même temps. Faute de pouvoir faire disparaître ces traditions, l’Église les a maquillées en fête des Fous, où transgression et inversion des rôles sont toujours d’actualité. On peut même se demander si elle n’applique pas elle-même cette dernière tendance en présentant le Sauveur de l’Humanité sous la forme d’un petit bébé.
Vers le XII° siècle, apparaît le légendaire Saint Nicolas. Issu d’un évêque du IV° siècle, dont la Bible place la mort un 6 décembre, il prend la figure barbue d’un évêque protecteur des enfants. Aux oreilles de certains d’entre nous résonne encore la comptine…
Il était trois petits enfants Qui s'en allaient glaner aux champs. S'en vont au soir chez un boucher. « Boucher, voudrais-tu nous loger ? Entrez, entrez, petits enfants, Il y a de la place assurément.» Ils n'étaient pas sitôt entrés, Que le boucher les a tués, Les a coupés en petits morceaux, Mis au saloir comme pourceaux.
Toujours est-il que le bon vieux barbu apparaît, long manteau, vêtement chaud, l’image d’Épinal se fait sa place. Sa bienveillance est toutefois contrebalancée par le Père Fouettard, qui ne se contente pas de placer du charbon dans les souliers des enfants désobéissants, mais il les emporte aussi, tout bonnement (ou pas d’ailleurs). Allez savoir pourquoi, on a préféré conserver le bon vieux barbu que le kidnappeur d’enfant. Mais Saint Nicolas n’a pas pour autant un boulevard grand ouvert devant lui. L’Europe n’a pas finit d’écrire le conte de Noël.
XVI° siècle, les protestants protestent, les Américains débarquent
En 1520, le protestantisme s’oppose au culte des Saints. Nicolas ne fait pas exception. S’ouvre une période de contestation pour le bon St Nicolas. Ils essayent de recentrer le culte autour de Jésus, mais les petits bras potelés du bébé n’en font pas le candidat idéal pour la distribution des cadeaux. Pendant ce temps, les Hollandais partent coloniser leur bout d’Amérique, et emportent avec eux celui qui va devenir le Santa Claus américain. Si le XVII° siècle voit Noël être contesté en Europe, le barbu distributeur de cadeaux fait son bout de chemin outre-Atlantique.
XIX° siècle, le marketing américain est en marche
1821, aux États-Unis, un poème, « L’ami des enfants », est publié. On y retrouve Santa Claus, mais sans mitre ni crosse, il n’a plus ses attributs d’évêque. Le bon barbu distribue maintenant ses cadeaux avec un traîneau, tiré par un renne.
En 1822, un classique devenu incontournable pour les anglophones, « The night before Christmas », modifie quelque peu l’image. Santa Claus a désormais 8 rennes, dont les petits anglophones connaissent les prénoms par cœur. Il descend par la cheminée et vit au Pôle Nord, ce qui présente le double avantage de justifier sa houppelande, et rend une rencontre avec les enfants impossible le reste de l’année. Parues en 1881, les illustrations propagent le mythe. Le tour est joué, fin XIX° la figure de Santa Claus est standardisée. Du côté européen, en 1843, Charles Dickens contribue à amplifier les traditions, avec son « Chant de Noël », maintes fois adapté à l’écran depuis.
En Europe justement, le barbu distributeur de cadeaux n’a pas le monopole du cœur à Noël. Sainte Lucie, par exemple, apporte la lumière dans la nuit de l’hiver, le 30 décembre. En Espagne, ce sont les Rois mages qui distribuent les cadeaux. En Italie et ailleurs, la Sorcière assure la distribution et symbolise aussi parfois la fin de l’année et l’annonce d’un cycle nouveau. Le conte de Noël a, lui aussi, ses adaptations.
Mais tout n’est pas magique au pays des enfants. Ces derniers sont toujours considérés comme des adultes en miniature pour ce qui concerne le travail. Alors que l’industrialisation est en plein essor, on commence seulement à prendre conscience qu’ils forment un groupe à part. Et avec l’arrivée du consumérisme dans les années 1870, ils deviennent une cible de choix pour faire de Noël une activité mercantile.
Le conte de Noël fait aussi ses comptes
En 1931, le Père Noël a sa tenue rouge et blanche. Il est effectivement associé au vert du sapin, symbole d’espoir et de renouveau de la nature. Et puis, en plus, vert, rouge, blanc, ça fait joli. Mais cette décennie marque le début d’une campagne publicitaire de grande envergure, celle d'un soda bien connu. La marque porte à l’écran le vieux barbu, dans des spots souvent très esthétiques et diffusés à grande ampleur. De quoi associer les couleurs de la marque et celle du Père Noël. C’est aussi, dans les années 1950, le Noël du capitalisme qui commence. La consommation de masse entraîne le vieux bonhomme à transporter « des jouets par milliers ».
On pourrait croire le conte de Noël fini. Parti de la célébration du solstice, il s’achève en fête religieuse et mercantile. Oui, mais non. Les réminiscences païennes sont bien là, même si nous ne connaissons plus leur signification. Le sapin, le houx, nous rappellent le désir du retour du printemps, l’éveil de la nature, la sortie du terrible hiver. Les cadeaux sont le lointain souvenir des Saturnales romaines. Et le vieux bonhomme n’a plus grand chose d’un Saint Nicolas. Pour preuve, l’église même le condamne. En 1951, sur le parvis de la cathédrale de Dijon, la moutarde monte au nez des ecclésiastiques. Ils convoquent leur assemblée, et l’effigie du Père Noël est brûlé sur la place publique ! Au bûcher le distributeur de jouets ! Scandale et choc parmi les paroissiens, grands et petits. La Nativité des Chrétiens a des origines païennes, l’église devra désormais s’en accommoder.
Alors pour les païens, fêter Noël c’est célébrer le solstice d’hiver. Les croyants, eux, se réjouissent d’une naissance. Et peut-être le plus important, pour les enfants, c’est une nuit magique… Une nuit où le rêve et l’imaginaire leur font lever les yeux vers les étoiles, où les rennes peuvent voler, où le vent semble porter des sons de grelots… Une nuit où tout peut arriver. Et celle-là, on souhaiterait bien qu’elle ne se termine jamais…
Noël, l’histoire sans fin…
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